Bonjour à tous ! Pour cette année 2017, j'ai encore une fois participé au concours de nouvelle du festival international des Utopiales à Nantes (comme chaque année quoi ), et pour cette dernière participation, j'ai été lauréat (vraiment cool d'être resté à ce niveau 4 ans sur les 5 ) !
Voici donc ma petite nouveeeelle :
(si c'est pas lisible : ICI )
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Les derniers instants
Ce thé est vraiment amer.
Je me suis toujours étonné de voir comment de petits gestes, de petites habitudes peuvent ensemble construire une vie. Se réveiller, boire un thé, prendre le métro, travailler, un autre métro, un autre thé, dormir… Un équilibre parfait.
Je suis de ceux à qui ce rythme convient.
Pourtant cette vie d’habitudes, immuable dans le temps, ne correspond pas au premier coup d’oeil à l’image que je renvoie : Mark, 19 ans, new-yorkais depuis le premier âge, on me verrait plus à étudier ou faire la “révolution”, voire les deux à la fois. Non, à la place je passe mes journées, sur un écran, à surveiller des chiffres pour le SGMP.
Qu’est-ce ? Nous y venons.
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Il y a une cinquantaine d’années, une petite entreprise, Kalikau, a mis au point le 1er patch nanotechnologique. Le principe ? Une fois apposé, toute dégénérescence, tout virus du corps est corrigé, ou éliminé, par nos amis les petits robots… L’immortalité.
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J’allume mon écran, depuis l’open-space du SGMP, pour voir immédiatement défiler des milliers de compteurs sur la surface, comme une pluie immaculée sur la nuit.
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Le sujet a suscité une évidente fascination. Très vite dépassés, les gouvernements ont imposé une clause : pour pallier la surpopulation qui s’annonçait, le Service de Gestion des Morts Programmées devrait apposer à chaque patch une date d'expiration. Une fois atteinte, il cesserait de faire effet, provoquant la mort de l’individu dans les heures suivantes. Votre vie, délimitée par deux lignes aléatoires de code.
Voilà mon travail : surveiller les décomptes, prévenir quand l’un d’eux approche de sa date butoir, afin que la personne reçoive une sombre enveloppe, pour y consigner son testament. La machine fait le reste, dont personne ne voudrait s’occuper de toute manière.
Certains se lèveront pour protester, pourquoi ? Quoi de plus juste que le hasard d’un algorithme ? Deux cent ans plus tôt, votre vie s’arrêtait à un verre de trop, un mauvais virage… Les choses ont-elles vraiment changées ?
Je vis avec la femme que j’aime, Amanda, elle travaille dans plusieurs associations humanitaires. Elle aide à la vie, et moi à la mort, si l’on peut dire, un équilibre complexe sur lequel nous vivons et nous nous aimons.
-Hey Mark ! fait une voix dans mon dos.
Il s’agit de Morgan, un collègue travaillant à la gestion des données. Une légère barbichette en pointe, de petite taille, sympathique. Le genre qui fait passer plus vite une journée pour peu que vous ayiez envie de discuter. Toujours de bonne humeur, enfin presque, ce matin il semble comme préoccupé, gêné. Étrange.
Je réponds par une expression vague, m'attendant à ce qu’il se penche et se perde sur son écran à son tour. Mais il reste immobile, pâle comme la mort.
Je m’inquiète un peu, que lui arrive-t-il d’un coup ?
-Ça va ? dis-je en hésitant.
Il met un court instant avant de répondre, assez précipitamment :
-Oui, oui, ne t’en fais pas, je remarquais juste que… c’est cool de travailler avec toi.
Un court silence emplit une seconde l’atmosphère, puis il reprend, nerveux :
-Bon, bon, faut pas que j’reste en place moi, allez au boulot ! en s’asseyant à son poste.
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De retour chez moi, après cette longue journée, je me faufile doucement dans le salon. Amanda ne me voit pas, affairée à planifier une opération d’aide pour un pays en voie de développement. Je m’assois en silence et sans me faire remarquer, l’observe tendrement farfouiller les dossiers avec énergie, sa délicate et rousse chevelure retombant sur ses épaules. La douce lumière naissante du crépuscule baigne son visage.
Rien n’est plus beau pour moi que cet instant.
-Oh ! Je ne t’avais pas vu toi ! s’exclame-t-elle, surprise, quelques instants plus tard.
Nous passons le reste de la soirée, tranquilles, à manger sur le canapé devant un film, pour s’endormir paisiblement en oubliant les petits tracas de la journée.
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Le lendemain se déroule dans une ambiance étrange. J’ai comme l’impression d’être observé par les passants pendant que je travaille. Cette sensation est ridicule, je le sais bien, mais j’ai l’impression d’entendre quelques chuchotements dans mon dos.
Je signale dans la matinée 63 cas passés sous la barre des deux jours de vie, un record depuis que je suis entré à ce poste, ce qui doit faire quelques mois.
La journée s’annonce ennuyeuse, sans la moindre parole, juste cette curieuse impression d’être surveillé, qui semble me hanter. Je me fais des idées. Pour me sortir de ces mauvaises pensées, je vais discuter avec quelques collègues et Morgan autour d’un café. Les conversations s'enchaînent, sans transition, le sujet allant de la politique internationale à la meilleure manière de cuire un oeuf, toujours mené au bon gré de Morgan. Un lourd silence se fait sentir au bout d’un moment, les sujets ayant déjà été tous exploités, et on décide à l’unanimité de reprendre le travail.
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Le soir, usé, je m’effondre, comme paralysé sur un siège. Un tourbillon de chiffres indistincts résonnants à travers mon crâne. Amanda me rejoint, pâle comme la lune elle aussi, silencieuse. Je tente d’en savoir plus, mais elle évite mes questions, comme si elle aussi se sentait gênée par ma présence désormais !
Je commence à vraiment m’inquiéter.
La soirée se passe dans le silence le plus glacial. Nous mangeons, et allons dormir sans un regard. Que se passe-t-il ? Pourquoi tout le monde a cette attitude envers moi ? Je tente de me rassurer, de me répéter que tout cela n’est qu’une simple illusion, mais plus j’y pense, plus cette gêne m’irrite. Qu’ai-je fait pour mériter ce mur invisible avec le monde ?
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Je commence la journée suivante la gorge nouée. Toujours ces murmures, ces silences, cette sourde mise à l’écart. Une crainte commence à arpenter mon esprit, allant et venant à travers moi, me faisant frissonner de bas en haut et parfois bondir mon coeur de frayeur : Je travaille dans un lieu où la date de mort de chacun est affichée sur un écran… Vais-je mourir ? Que pourrait-ce être d’autre que cela ? Ce cauchemar éveillé serait l’explication de tous ces silences, Morgan et les autres commençant déjà leur deuil de mon vivant… Cela n’a rien d’impossible, quelqu’un a très bien pu voir s’afficher mon nom dans ses décomptes, et à partir de là prévenir les autres.
Au bord des larmes devant mon écran, je commence à comprendre. Ils ont dû prévenir Amanda hier après-midi, ce qui expliquerait notre soirée vide hier… Elle n’ose probablement pas me dire ce qu’il va m’arriver, par l’interdit de révéler à quelqu’un sa mort en avance. Elle ne veut pas me gâcher mes derniers -ces mots me faisant trembler- jours.
Que dois-je faire ?
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Je ne tiens pas, le soir-même, rongé par le doute, je lui pose la question. Elle refuse immédiatement d’avouer la moindre chose, mais l’espace d’une demi-seconde, j’entrevois sa réaction : terriblement troublée. On ne se reparle pas de la soirée.
Pourtant, au milieu de la nuit, ne trouvant pas le sommeil je suis surpris en entendant un bruit de son côté du lit. Un sanglot étouffé. Je voudrais la serrer contre moi, la consoler mais l’appréhension continue de me figer sur place. Me croyant endormi, je la sens se retourner vers moi et se serrer contre mon dos dans l’opaque obscurité de la nuit.
Bon dieu, que va-t-il m’arriver ?
Je ne supporte plus cette pression, elle m’empoisonne la vie, me renvoyant chaque heure, chaque minute, chaque instant cette question : est-ce ma dernière inspiration ? Combien de temps avant que… Je n’en peux plus. J’en suis sûr désormais, mes jours sont comptés et personne n’a ne serait-ce que la compassion de me le dire. Pourquoi n’ai-je pas encore reçu de quoi faire mon testament ? Mystère. Mais cette sourde pensée me rend fou. Il n’y a qu’un moyen de l’ôter à jamais. Je me lève, à travers l’open space.
-Dites-moi ! dis-je par un cri dont je ne me serais jamais cru capable. Dites-moi que vous le savez ! Dites-moi que je vais mourir ! Donnez-moi ma date de mort !
Morgan me fixe à ma droite, le teint plus cireux qu’une bougie, balbutie :
-Mais enfin… Tu connais le… règlement… C’est privé et…
Comment ose-t-il ? Il sait, je le lis dans son regard lâche et méprisable maintenant, il n’a jamais osé, il n’a jamais voulu m’avouer ce qu’il savait. Est-ce lui qui l’a découvert ? Probablement. Comment ai-je pu le traiter en ami ?
Soudain, je perds le contrôle.
Ma main semble d’elle-même s’animer et mon poing envoie valser Morgan plusieurs mètres plus loin. J’envoie au sol la chaise la plus proche, suivie des écrans à proximité. Je lance un hurlement de rage à travers l’espace de travail, je cours, renverse les tables, jette les objets à ma portée. Les autres employés s’enfuient, épouvantés, à travers les couloirs tandis que je lacère les affiches aux murs, écrase de mes pieds le moindre clavier tombé au sol. Ils me croient déjà mort ? À moi de leur prouver le contraire !
Une gigantesque cacophonie enflamme les lieux désormais, et j’ai même du mal à bien saisir le fait que j’en suis le seul responsable tant le désordre saisit l’endroit, j’ai renversé le silence, ce regard au-dessus de moi. Rien ne m’arrêtera avant que je sache.
***
Mais la sécurité intervient, et l’on m’emmène de force dans le bureau de direction, pour évidemment parler des conditions de mon renvoi. Je vois alors pour la première fois le visage du directeur du SGMP : ridé et fatigué, sans la moindre lueur dans le visage. Froid comme la mort. Il me présente un dossier, je le signe sans le lire. Vidé par ma colère. Il fait signe aux molosses du service de sécurité de me diriger hors du bâtiment, mais juste avant, alors que les deux gardes se retournent, il me lance un regard froid et pointe de son doigt un écran sur le mur. Un compteur, avec un nom.
J’ai encore 84 ans à vivre.
Je rentre, renvoyé de tout mon paisible quotidien, fatigué, mais heureux. Une erreur ! Une formidable erreur de jugement de ma part ! Ah, quel prix ne donnerait-on pas pour vivre !
L’appartement est vide, une lettre noire posée sur la table.
Fin.