J’ouvre les
yeux, je n’ai pas beaucoup dormi cette nuit à cause des bombardements,
un paysage de désolation s’étend à la fenêtre du bunker. Les cendres
couvrent le sol sur plusieurs kilomètre à la ronde, d’immenses cratères
percent les routes autrefois droites, plus aucune maison ne tient
debout. Un frisson me parcourt le dos quand je pense à ce qui a fait
qu’on puisse en arriver là. Tout a basculé si vite. . .
Dans les années autour de 2050
l’humanité a commencé à comprendre que les manques d’eau causés par la
surpopulation allaient mener les Hommes à leur perte. La panique
commençait à monter alors que l’on prévoyait que l’eau allait
disparaître dans les dix prochaines années de la surface de la Terre, ce
qui força les différents gouvernements à enfin agir ensemble, contre
cette future pénurie du liquide. La science dut travailler comme jamais,
à une vitesse sans précédent. Pendant trois ans tout le monde
scientifique fut réquisitionné pour trouver une solution, des chercheurs
finirent cependant par trouver la réponse à ce problème mondial, dans
le fin fond du désert du Sahara: la speris. Il s’agissait en fait de la
seule plante qui ne consommait pas d’eau. Il suffisait pour les savants
de greffer son ADN sur celui de l’Homme, pour qu’il ne soit plus
dépendant du liquide vital! La joie parcourut le monde entier en proie à
la terrible crise, l’humanité allait être sauvée! Les premiers tests
eurent lieu très rapidement et furent concluants, le patient sortait du
laboratoire vivant et en bonne santé, avec une intelligence étrangement
plus élevée qu’avant... Les «mutants» furent de plus en plus nombreux,
s’insérant dans la société maintenant hors de danger, avec les mêmes
droits que les autres Hommes sans toutefois faire partie de leur espèce.
. .
Je me lève du coin dans lequel je m’étais endormi: un dessous de table à
moitié effondré par les gravats d’un mur
détruit, les autres ayant été détruits par l’ennemi. Il n’y a personne dans le
bureau qu’occupait mon père, le responsable de la protection militaire. Je
lutte contre mon envie de m’effondrer en larmes, où ont-ils pu passer
tous ? Je refuse de penser qu’ils se sont fait tuer, aucun corps n’encombre
la salle. La pièce reste tout de même dévastée, le bureau est littéralement au
sol, du verre brisé traîne sur le plancher, les seuls meubles qui garnissaient
la salle autrefois luxueuse sont en piteux état. Je finis par oser sortir de
l’abri, devenu inutile avec un trou dans le mur.
Je tombe sur d’autres salles
dans le bunker, toujours vides. Où sont les résistants qui garnissaient par
centaines ces salles d’abri ? J’ai du mal à réfléchir, la panique bloque
mes mouvements. Soudain, je ne tiens plus et m’effondre sur le sol en
gémissant, je suis seul dans l’abri et personne ne peut me venir en aide. Une
bonne demi-heure passe avant que je réussisse à me lever, je respire longuement
puis me décide à aller voir ce qui se passe en dehors du bastion où on nous
avait ordonné, à moi et à ma famille, de nous cacher avec tout le reste des
survivants. Je passe la porte, désobéissant ainsi aux ordres, mais tant pis,
ils n’avaient qu’à ne pas m’abandonner sans rien dire !
Un silence de mort
règne dehors, ce qui reste terrifiant vu
le vacarme qui dominait il y a à peine quelques heures plus tôt, j’avance
lentement, sans faire de bruit car des soldats ennemis pourraient me repérer. Un
grand bâtiment attire tout de suite mon attention, à peine quelques mètres plus
loin. Une sorte d’hôpital,
défoncé de part en part par les missiles sol-air du début de l'assaut,
mais le tout de l'édifice semble tenir miraculeusement encore debout.
Avec la prudence de l’un de ces personnages de vieux films d’espion que
je regardais gamin, je me rapproche de la porte en verre, par laquelle
je vois
qu’il n’y a personne à l’intérieur. La porte s’effondre d’elle-même
quand je
tente de l’entrouvrir, avec une clameur sans nom de verre brisé, qui ne
m’aurait pas paru si stressante si je n’avais pas été dans cette
situation de
risque mortel.
Mon cœur semble s’arrêter pendant un court instant. Aucune
réaction.
À pas de loup, je tente d’entrer dans l’édifice sans faire d’autre bruit. J’aperçois une arme par terre, mon instinct me dit de courir la prendre. Evidemment, dans les situations de la vie quotidienne ou «normale», je détestais les armes et la violence me répugnait, mais je me trouvais à présent en situation de vie ou de mort, je prends le revolver moderne dont le poids m’impressionne. J’inspecte la pièce en soufflant pour tenter de ralentir mon cœur qui bat maintenant à une vitesse affolée. Et c’est à ce moment que je le vois.
À pas de loup, je tente d’entrer dans l’édifice sans faire d’autre bruit. J’aperçois une arme par terre, mon instinct me dit de courir la prendre. Evidemment, dans les situations de la vie quotidienne ou «normale», je détestais les armes et la violence me répugnait, mais je me trouvais à présent en situation de vie ou de mort, je prends le revolver moderne dont le poids m’impressionne. J’inspecte la pièce en soufflant pour tenter de ralentir mon cœur qui bat maintenant à une vitesse affolée. Et c’est à ce moment que je le vois.
La mutation fut un véritable renouveau
de la culture, de l’art et de la science, de nouveaux rapports eurent lieu
entre les différents membres pensants de la planète bleue, beaucoup d’encre
coula chez les philosophes qui proclamaient une nouvelle ère de l’humanité. La
paix emplissait les cœurs et les âmes de tous, malheureusement tout ce bonheur
ne pouvait durer longtemps, c’était trop beau pour être vrai, dix ans
passèrent. . .
Les rapports entre les hommes «normaux» et les «speris» ne
pouvaient pas s’améliorer continuellement, ils allaient se compliquer avec le
temps, progressivement un écart se creusa entre les deux ethnies. En effet, il
avait été prouvé que les speris possédaient des facultés plus faciles à
développer leur intelligence, leur assurant plus de chances de trouver de hauts
diplômes à la fin de leurs études. Le fossé ne pouvait qu’augmenter quand les
speris découvrirent qu’ils pouvaient se reproduire, donc ne plus dépendre des
autres humains. De plus en plus de monde chez les humains se méfiaient de ces
trop bons travailleurs, trop intelligents, trop beaux, trop…trop. Peu à peu, les gens manifestèrent une sorte
de jalousie envers ces humanoïdes qui réussissaient dans tous les domaines.
Tant et si bien que ce qui devait arriver arriva: des terroristes s’en prirent
aux malheureux qui ne pouvaient pas s’excuser d’avoir une intelligence un peu
plus élevé que la normale. On oublia bien vite les sauveurs de la planète pour
les traiter comme des tricheurs, des voleurs. Que firent les persécutés? Non,
ils ne coururent pas se venger ou répondre à ces violentes attaques, que
certains se faisaient un plaisir de leur faire subir. Prouvant sans le vouloir
une fois de plus leur intelligence, ainsi que leur sagesse mutante, ils utilisèrent
le seul socle où tous les citoyens restaient égaux : la justice.
Hélas, certains gouvernements n’ayant adapté cette opération
à leurs hôpitaux ou populations que depuis peu, les réformes créées par les
manifestations n’aboutirent que dans les rares pays riches, en mesure de
maitriser les agressions de centaines d’humains mal intentionnés. Certains
firent donc en toute impunité des dégâts irréparables pour leurs congénères. La
situation devint véritablement révoltante quand, encouragés par le peu de
résistance, les petites brutes qui vandalisaient quelques passants passèrent
aux véritables attentats en masse. La population speris paniquait devant les
menaces de se faire voler ou maltraiter par ces humains devenus sans scrupules.
Ensembles, ils n’eurent d’autre choix que de choisir la seule et unique
possibilité de ne plus subir ces violences : l’exil. On passa dans tous
les foyers des mutants ce même message: «Ordre n°752, tous les humains speris
doivent impérativement se rendre dans les aérodromes les plus proches en
partance pour l’Australie, le pays dont tous les habitants sont speris. »
Une vague immense de citoyens maltraités se précipita dans les aéroports, dans
l’espoir de quitter leur situation injuste. Quand ils arrivèrent, ils furent
accueillis par des centaines de leurs semblables et par quelques humains
compatissants.
La population australienne passa brusquement de trente millions
à deux milliards! La nouvelle population développa tout de suite le pays, en
profitant de ce qu’avaient emporté avec eux les riches speris ayant réussi dans
leurs vies. Des villes se construisirent en à peine quelques mois, d’autres
explosèrent, comme Sydney. La réaction des humains fut alors immédiate, ils
demandèrent de récupérer leurs populations immigrées car l’économie ne pouvait
forcément plus fonctionner correctement. Cependant les speris avaient trop subi
de la part de ces humains qui ne faisaient que les subir, il était temps qu’ils
se prennent en main pour ne plus rester sous le joug de l’humanité !
La réponse
à l’ordre du retour fut un «non» catégorique. Ce que les Hommes n’apprécièrent
pas, mais alors pas du tout. Ainsi débuta la troisième guerre mondiale. Voilà
pourquoi je me suis retrouvé dans ce bunker et pourquoi j’en suis à vouloir
saisir ce revolver.
Hélas je n’ai pas le
temps de m’en emparer qu’un homme tente de se jeter sur moi. D’un réflexe,
appris en cour de judo, je me baisse pour esquiver. L’autre s’effondre sur le
sol avant de se relever dans un grognement, ce qui me laisse le temps de me
retourner pour enfin le voir de face.
A son uniforme, il s’agit de l’un des
soldats qui attaquaient le bunker. Un sourire sadique étire ses lèvres quand il s’aperçoit de ma petite
taille, dans son regard je lis que n’ai aucune chance de m’en sortir. C’est à
ce moment-là qu’il remarque mon arme. Son regard s’arrête sur l’objet de métal
et, sans prévenir, il charge à nouveau.
Le coup de feu part sans prévenir, lui aussi. Le bruit semble résonner dans tout l’espace de l’immeuble. Le soldat s’effondre
en hurlant de douleur.
Dégoûté, je rejette aussitôt le revolver sur le sol, j’ai
tué un homme !
Quel acte répugnant ai-je commis! Mes genoux tremblent, je sais
que ce geste ignoble me poursuivra toute ma vie, si courte soit-elle. Mes
larmes coulent à flot quand je remarque soudain que la poitrine de ma victime
se soulève encore, il n’est pas mort. Que dois-je faire ? L’arme qui m’a
juste à l’instant permis de ne pas mourir se trouve à l’autre bout de la pièce,
près du corps. S’il s’en aperçoit, il me tuera aussitôt. Le corps du blessé se
trouve entre moi et la porte par laquelle j’étais entré, je ne peux pas fuir
hors du bâtiment. La voix du soldat me fait soudain frissonner :
« -Alors ?
T’as même pas l’courage de m’achever sale speris !
-Je ne peux pas vous
tuer, vous êtes un être humain et. . .
-Et alors? hurle le
blessé. Vous les mutants, vous n’êtes que des lâches qui ont fait crever une
bonne partie
de l’humanité, pourquoi pas un de plus? Oh! Ne fais pas mine
d’avoir pitié, vous êtes tous sans cœur !
-Nous, bredouillai-je,
nous sommes aussi des êtres humains, pas d… des mutants.
-Menteur, crache
l’homme en saignant sur le sol. Hum, mais que vois-je ? Tu as laissé tomber ton arme on dirait,
dommage pour toi ! fait-il en s’en emparant, puis en se redressant, il
poursuit :
-Ne joue pas les
innocents avec moi, compris ? Ce n’est pas parce que tu es un enfant que ça
va m’empêcher de te tuer! Allez! Mets-toi à pleurer pour voir, fais le cruel humain
en agitant le revolver.
Je n’ai pas le temps de
me retourner pour fuir dans les couloirs sombres, qu’un second coup de feu
retentit, l’instant d’après je m’effondre face contre terre, sentant quelque chose incrusté dans mon dos. Mes yeux
se ferment tandis que ma dernière vision est celle de l’armée speris débarquant
dans le bâtiment en abattant mon agresseur.
« -Trop tard » ai-je le temps de souffler pour la dernière fois.
D’après Thomas Vili,
speris tué pendant la dernière guerre terrienne.
Mais qu’allait devenir
la planète après la mort de tant d’êtres humains et speris ? Eh bien, la
pollution causée par cette guerre allait achever l’œuvre de la pénurie d’eau:
la mort. Les derniers survivants de cette lutte entre les deux humanités durent
marcher dans les ruines de leur monde dans l’espoir de trouver de quoi se
nourrir, hélas les ravages de cet affrontement semblaient avoir réduit à néant
tout ce qui leur avait était donné par la Terre, l’écosystème ne fonctionnait
plus, les rares sources d’eau ne pouvaient plus fournir aux besoins vitaux de
ne serait-ce qu’un individu, la végétation n’existait plus, rasée par les obus.
Les Hommes finirent donc par s’éteindre les uns après les autres, dans la
souffrance, regrettant amèrement leur erreur : avoir exploité la nature
qui les nourrissait et les faisait vivre.